Résumé

Ce court essai vise à poser deux questions : la première, saisissant l’opportunité formidable donnée par la journée organisée par Sylvie Taussig le 12 décembre 2012 de dialoguer avec Marcel Gauchet, est de savoir si la Chine est sortie de la religion (et la réponse ébauchée ici sera plutôt négative). La seconde, en reprenant et synthétisant des éléments de mes publications récentes (notamment mon récent livre de synthèse La question religieuse en Chine, co-écrit avec David Palmer), est de savoir comment rendre compte de façon comparative de notre connaissance de la religion locale au Jiangnan (Chine orientale), dans un contexte où la Chine exerce beaucoup d’attirance de curiosité, mais encore très peu d’impact théorique dans le champ des sciences sociales. Pour proposer des pistes de réponse à ces deux questions, je baliserai l’objet de la discussion en définissant les quatre dimensions de l’organisation socio-religieuse dans cette région de Chine (territoires, lignages, économie, associations) et les cadres liturgiques différents mais complémentaires qui les structurent-notions qui sont certainement généralisables au-delà du cas chinois. En me concentrant ici sur la première de ces dimensions (les territoires), je me demande dans quelles conditions on peut sortir de l’une ou l’autre de ces dimensions et comment l’ensemble de ses dimensions peut malgré tout garder sa logique même quand une partie des populations en sont sortis. En d’autres mots, la « sortie de la religion », pour reformuler le concept de Marcel Gauchet dans ce cadre théorique inspiré par la Chine, devient plus complexe puisqu’on l’on peut « sortir » à divers degrés de l’une ou l’autre de ces dimensions. Je montre que l’ordre englobant des dieux (bureaucratie et justice divine) qui s’exprime notamment dans la dimension territoriale de la vie socio-religieuse reste opérant (et donc la sortie de la religion incomplète) alors même qu’une partie de la population ne le connaît plus, dans la mesure où ils y sont représentés par leur famille.