Résumé

Alors que la mondialisation libérale semble définitivement reléguer les politiques de redistribution foncière contrôlées par l’État à la catégorie des objets surannés, pourquoi s’intéresser ici aux réformes agraires latinoaméricaines ? Il faut tout d’abord cerner plus précisément notre sujet. Il s’agit de reprendre la réflexion sur les réformes agraires avec un recul plus important et avec des questionnements renouvelés. Certes, ces réformes ont pour la plupart terminé dans l’effondrement des structures agraires créées par les États, dans la stagnation de la production agricole, dans la perte des capacités technologiques et d’investissement, naguère présentes sur certaines des grandes exploitations au moins. Cependant, vingt ou trente ans après, arrive-t-on toujours au même constat quant au résultat de ces processus, envisagé sous ces mêmes angles ? Par ailleurs, les paradigmes issus de la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle poussent à s’intéresser non plus seulement au succès de tel ou tel modèle politique, à la modernisation, aux équilibres macroéconomiques ou même aux indicateurs globaux de pauvreté dans les campagnes mais également aux « capacités d’adaptation des paysans 1 », ou encore à la liberté qu’ont les individus d’atteindre des objectifs qu’ils ont eux-mêmes déterminés, comme l’a proposé A. Sen 2. Dans le fil de cette tendance, ce ne sont pas les réformes agraires elles-mêmes qui sont au coeur de notre interrogation, mais leurs bénéficiaires : les personnes, les familles, les collectivités qui ont reçu des terres au cours de ces processus vieux pour certains d’à peine trois décennies. Ce point de vue ne suppose pas qu’on se désintéresse des mouvements sociaux, mais qu’on les analyse d’une autre façon. Pour A. Touraine, le fait social ne s’expliquerait plus par sa place dans une évolution historique les sociétés auraient la capacité économique, politique et culturelle de produire leur avenir 3 – les rapports de force et les conflits faisant partie du processus. Enfin, si l’échelle globale a pu être considérée, par exemple par N. Elias 4, comme le niveau ultime de l’intégration de l’humanité, il faut rappeler l’importance de l’échelle locale comme lieu de production du monde, ainsi que l’a rappelé O. Dollfus : « Le monde procède de l’interaction des situations locales qu’il englobe 5 ».