Résumé

Emmanuel Lincot : Les pratiques du bouddhisme tibétain dans les régions que vous étudiez (Taïwan et France) sont-elles en voie de sécularisation ?

Cécile Campergue : Le terme sécularisation, polysémique et complexe, est l’objet de bien des débats. Témoignant d’une rupture entre le politique et le religieux, les thèses de la sécularisation (souvent liées à celle de la modernité) qui ont primé dans les années 1960/70, arguant d’une « fin du religieux » dans un « monde désenchanté » ont laissé place en 1970/90 à de nouvelles théories moins radicales : la sécularisation n’entraîne pas la fin du religieux (d’où son « retour », la « dé-sécularisation » de Peter Berger) mais le champ religieux connaît des mutations et des transformations importantes. Du religieux autrement, en recomposition permanente. L’offre religieuse est en effet multiple et disséminée, pour ainsi dire, globalisée. Le bouddhisme tibétain, religion désormais transnationale, s’adapte à chaque fois au nouveau contexte de la société d’accueil et a su tirer profit de sa place dans le champ religieux occidental en maintenant des aspects traditionnels et en plébiscitant certaines valeurs occidentales et certaines pratiques comme porte d’accès au bonheur. Comme pour toute religion qui s’implante dans un nouveau contexte socioculturel, les adaptations sont notoires et la préservation par la structure du culte, la permanence de la hiérarchie religieuse, des rituels, du panthéon tibétain, forment le socle sur lequel s’appuient les pratiques forcément transformées. Ainsi, la méditation est devenue le parangon du bouddhisme d’Occident. Plusieurs maîtres tibétains et occidentaux, suivis de leurs disciples, tentent d’en faire une pratique sécularisée, une pratique spirituelle non-confessionnelle, une « spiritualité séculière »1 souligne Mathieu Ricard. Les rapprochements entre science et bouddhisme et les expériences réalisées concernant l’activité cérébrale des moines bouddhistes en méditation participent à la construction d’un bouddhisme « moderne », « rationnel » et séculier. Mais il ne s’agit là que d’un discours visant à plébisciter la religion bouddhique.